En 1966 vient la fin du code Hays qui censure le Cinéma américain depuis plus de 30 ans. Ce code, d’une grande rigueur, a contraint les cinéastes à suivre des règles stricts quant à la représentation de la religion, du sexe et de la violence à l’écran. Par exemple, l’adultère ne pouvait être représenté, ni la naissance d’un bébé. La nudité est interdite, la religion ne peut être montrée sous un jour comique ou péjoratif. La fin de cette censure a amené un changement radical dans le paysage cinématographique américain qui est passé d’un ascétisme prononcé à un débordement de violence sur grand écran, et ce dès 1968, avec le premier film de George Romero, La Nuit des morts-vivants. S’en suivra de nombreuses suites du même réalisateur notamment avec Zombie en 1978, critique du capitalisme et de la consommation de masse. Le public découvre alors un cinéma politique et engagé ancré dans le réel, où les véritables monstres sont plus les hommes que les bêtes. La violence à l’écran s’implante dans les années 70, impliquant le déclin de la Hammer, firme britannique jusqu’alors maîtresse des productions horrifiques avec ces films gothiques et aseptisés sur des monstres fantastiques de la littérature anglaise du XIXème.

Le véritable changement se fait dès 1972 avec le premier film du maître Wes Craven La Dernière maison sur la gauche, et Délivrance de John Boorman. Ces deux films de « rape and revenge » contrastent fortement avec les productions cinématographiques proposées à peine 6 ans avant en montrant des scènes de viols d’une cruauté et d’un réalisme insoutenable. Après avoir brisé les carcans du code Hays, les cinéastes s’abandonnent à la violence, en reflet à une Amérique en quête de grandiose. Mais ces films aux sujets d’apparences grossiers cachent en réalité un véritable propos politique, avec un discours écologiste pour Délivrance, le monstrueux à visage humain dans une Amérique tourmentée pour La Dernière maison sur la gauche et une critique du racisme pour La Nuit des morts-vivants cité plus haut.

Cette profusion de violence continue avec le classique de 1974 Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, où cinq jeunes en minibus croisent sur leur route au fin fond d’un Texas abandonné des hommes aliénés et dangereux, notamment le célèbre Leatherface. Cette Amérique profonde théâtre des rebuts de l’humanité est aussi la thématique de La Colline à des yeux de Wes Craven sorti en 1977 et où une famille proprette est victime de cannibale dans le désert aride du Nouveau-Mexique, ancienne zone d’essais nucléaires (politique je vous dis!). Cette confrontation des nord-américains avec ces êtres consanguins bouleverse la normalité et la sécurité du spectateur en créant une horreur actuelle et palpable, loin des monstres fantastiques et fantasques proposés jusqu’alors.

Après le succès du Rosemary’s Baby de Roman Polanski en 1968, d’autres productions se tournent vers le cinéma horrifique centré sur la religion avec antagoniste Satan et autres démons, avec L’Exorciste de William Friedkin en 1974, La Malédiction de Richard Donner en 1976 et Amityville de Stuart Rosenberg en 1979. Ces films mettent à mal la religion en personnifiant le diable par l’enfant dans L’Exorciste avec la possession de la petite Regan McNeil et en la personne de l’antéchrist avec l’inquiétant Damien de La Malédiction, ou encore en père de famille avec Amityville et sa maison construite sur un cimetière indien. La fin du code Hays a ainsi permis de traiter de tous les sujets et notamment créer des films sanglants ayant pour thématique la religion. Je n’y vois pas un non respect du culte mais plutôt une distanciation et inspiration à travers les mythes bibliques. Encore une fois il y a une réelle volonté d’ancrer l’horreur dans le réel notamment avec l’appellation « inspiré de fait réels » de Amityville.

Après l’enfance, l’horreur est aussi adolescente, lançant alors la mode des slasher, avec Halloween la Nuit des Masques de John Carpenter sorti en 1978 et Massacre à la tronçonneuse cité plus haut. Ce genre propose des codes stricts avec un tueur fou masqué qui assassine tout le monde et laisse pour seule survivante une jeune femme. Le genre connaitra une certaine pérennité avec la sortie de Vendredi 13 et Les Griffes de la Nuit au début des années 80, mais ne saura malheureusement pas ou peu se renouveler durant plus d’une décennie, la faute à des suites plus que médiocres. Le slasher connaitra une nouvelle heure de gloire seulement à la fin des années 90 avec la saga Scream. Carrie, réalisé par Brian de Palma en 1976 d’après le premier roman de Stephen King, pourrait quant à lui être une métaphore de la fin du code Hays, mais ce serait pousser trop loin. Le film parle pourtant d’une adolescente connaissant les premiers émois de la puberté, mais cloitrée par une mère trop puritaine et sujette à des moqueries, elle plonge ses camarades et la ville dans un bain de sang. Parallèle facile vous dis-je mais assez remarquable pour être souligné.

En 1975 le cinéma d’horreur connait une consécration et une reconnaissance critique et publique grâce au succès des Dents de la Mer de Steven Spielberg, premier blockbuster du Cinéma comme je l’ai mentionné dans un précédent article et qui sonne ainsi le début de la mode des films à grand spectacle qui sortent en été, les summer movies. Victime de son succès, il connaitra des suites plus ou moins oubliables, mais inspirera surtout le Piranhas de Joe Dante en 1978, où des piranhas modifiés génétiquement lors de la guerre du Vietnam (politique je vous dis! bis) sont accidentellement déversés dans un fleuve durant l’été. Ce joyeux pastiche déjanté qui surfe (très mauvais jeu de mots) sur le succès des Dents de la mer est un avant gout des futurs films loufoques des années 80, des Gremlins du même réalisateur et d’ailleurs produit pas Spielberg à Bad Taste et Evil Dead.

Le Cinéma horrifique pris une grande ampleur durant la décennie 70 aux États-Unis et se positionna comme un genre commercial et prospère. Mais la tournure du récit y était avant tout politique, chose que le genre perdra durant les années 80 avec des films d’horreur plus ancrés dans l’action, le fun et la SF et dont Alien le huitième passager de Ridley Scott sorti en 1979 est un préambule. La fin du code Hays n’a évidemment pas que touché le Cinéma d’horreur et a permis une liberté et une autonomie nouvelle dans l’écriture avec notamment Taxi Driver en 1976 réalisé par Martin Scorsese ou encore le Orange Mécanique de Stanley Kubrick en 1971. Les suites aux succès horrifiques des années 70 et du début des années 80 ont quelques peu essoufflés le genre, qui n’a pas connu de réel changement dans l’approche de la construction du récit et de l’image depuis. Le décès de Wes Craven en aout 2015 et les nombreuses rétrospectives qui ont eu lieux depuis sur le réalisateur dans des complexes culturelles et cinéphiles partout dans le monde et surtout en France prouve que le genre est aujourd’hui reconnu comme étant d’une qualité artistique et intellectuelle tangible.

J’aime bien ton article, il me parle d’autant plus que j’ai vu tous les films que tu cites…
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En même temps ce sont tous des classiques! Je n’ai pas parlé par contre de Black Christmas ne l’ayant pas vu.
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Celui de 74 oui, mais c’est vieux tout ça, celui de 2006 je ne suis pas certain, mais je crois que oui. J’ai vu trop de films, je commence à perdre la boule 🙂
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Le Cinéma rend fou, j’aime bien l’idée
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Merci de ce tour d’horizon très complet 🙂
J’ignorais que Délivrance avait ouvert la porte à l’horreur des années 70!
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Je sais que Délivrance n’est pas catalogué comme un film d’horreur mais je l’ai placé ici parce qu’il s’inscrit dans la lignée du rape and revenge et de la violence à l’écran, et que j’avoue aussi avoir été terrifiée quand je l’avais vu ado. C’est peut-être une erreur mais c’est assumé.
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Ce n’était pas du tout un reproche, c’est très cohérent et pertinent 🙂
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Je m’en doute bien je ne voyais pas du tout ça comme une attaque, mais c’est vrai que les commentaires permettent d’expliquer parfois le parti pris dans un texte qui aurait pu être totalement différent, surtout avec un titre aussi large que celui de cet article.
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Rien à dire, du très bon travail ! On sent que tu as fait des études de cinéma 😉 Les années 1970 furent une période remarquable pour le cinéma américain il faut le dire. Il y a eu du cauchemardesque, du sensationnel, du quasi-réel. Le genre était presque tout neuf mais on savait à l’époque le réinventer avec des codes et techniques toujours innovantes. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui !
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Aaaah que j’aurais aimé qu’on parle de ça à la fac, mais non, on parlait plutot du nouveau roman et de la nouvelle vague, que je détestais déjà avant et que j’exècre aujourd’hui, mis à part cet amour de François Truffaut. Mais je m’égare… C’est vrai que c’était une période faste car ce genre de films pouvaient se faire pour la première fois, et rien de bien neuf sous le soleil aujourd’hui…
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Très bon article sur le sujet 🙂 j’ai vu tous ces films et Alien le 8eme passager reste celui qui m’a le plus fait flipper. Je pense que c’est le meilleur du lot, Ridley Scott y est sans doute pour beaucoup 😉
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Il est très différent des autres films de cette décennie. Pourtant dans la manière de traiter « le monstre » il est très semblable aux dents de la mer, on voit peu la créature par manque de moyen, mais c’est justement ce qui rend le film terrifiant et qui fait qu’il a bien vieilli.
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OUAIP ! Ton article a le mérite d’essayer de replacer a sa juste place , un cinéma boudé par les critiques , les studios majeurs et les grosses boites de prod de l’époque .Mais ton article ne fait qu’un survol de base et ne parle pas du fond de tout ces réalisateurs qui ont ,en définitif , profités de cette censure pour faire un cinéma, libéré des conventions de l’époque malgré l’arrêt de la loi Hays !
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C’était déjà un article lourd, je ne pouvais pas malheureusement traiter le sujet pleinement, je ne fais pas un mémoire de master. J’ai surtout voulu souligner l’aspect politique et en effet parler du code Hays, qui n’est d’ailleurs pas seul « fautif » de cette explosion de violence. Rappelons que cette époque connait les premières images télévisuelles de guerre ce qui en un sens à participer à la fin du code et au changement de thématiques des films. On ne peut pas non plus faire des parallèles trop faciles.
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Quel super article! Je regarde peu des films d’horreur car je suis assez sensible lorsque cela touche à des fantômes ou à des exorcismes. Mais j’ai quelques films que tu as cités comme Massacre à la tronçonneuse, Les dents de la mer ou Alien.
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Je pense dans ce cas là que le film de cette décennie qui pourrait te plaire est Carrie au bal du diable. Je ne te conseille pas le remake qui est très mauvais.
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J’ai vu Carrie, celui des années 70 que j’avais bien aimé également. En revanche, je n’ai pas vue le remake.
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Waouh! Sacré article!
J’en ai vu quelques uns, dont les dents de la mer à l’âge de 12 ans, toute seule alors que mes parents me l’avais interdit… J’a regardé sous le lit en me couchant et il m’a fallu environ 15 ans avant de me décider à regarder d’autres films d’horreur. En plein jour et accompagnée!!
J’ai du voir Alien quelques fois, je fais toujours autant de bonds!…
Ridicule, je suis!
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Le but d’un film d’horreur est de faire peur, je ne vois donc pas en quoi il est ridicule de sursauter 😉 . J’en regarde depuis toute petite je devrais être habituée, mais il m’arrive encore très souvent d’être terrorisée et hurler devant un film, là c’est ridicule!
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Bon, je n’aurais pas grand-chose de constructif à apporter dans ce commentaire, mais c’est histoire de te dire que c’était vraiment intéressant. J’adore le genre plutôt flou du « film d’horreur » mais je ne m’y suis jamais penchée sur sa naissance et son histoire. Je regarde un peu tout et n’importe quoi, dès que ça me tombe sous la main (je n’ai encore jamais vu l’Exorciste par exemple, #hontesurmoi)… Par contre, ALIEN et LES DENTS DE LA MER ont allègrement traumatisé mon enfance et gâché pas mal de vacances au bord de l’eau pour le dernier (#enfantfragile).
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Par flou tu entends un genre tellement énorme qu’on ne comprend pas très bien ce qui le délimite? Pour l’Exorciste ce n’est évidemment pas grave, les seules choses graves sont la faim dans le monde, la guerre, et les pets de mon chat. Mais il vaut clairement le détour, même si par certains aspect il a tellement vieilli qu’il en est drôle. Je passe régulièrement sur ton blog et il n’y a plus de nouveaux articles, j’espère en voir sous peu, très bonne soirée à toi.
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Oui. Difficile d’en dresser des limites claires et c’est d’ailleurs souvent ce qui nuit au genre. Comme si toutes les productions cataloguées d’horreur étaient nécessairement moisies ou de moins bonne qualité que n’importe quel autre film. Genre les pestiférés du cinéma, un peu.
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A reblogué ceci sur Ciné FAZ.
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Joli panorama du genre qui a le mérite de replacer chaque famille dans une généalogie dont tu situes l’origine au tournant des seventies.
Je me permets de revenir néanmoins sur le caractère prétendument « aseptisé » des films de la Hammer qui n’est pas pour rendre sa juste valeur de cette mythique firme britannique dans l’évolution du genre. Je crois au contraire qu’à sa manière, la Hammer avait déjà apporté un sang neuf et transgressif au genre, et pas seulement en le barbouillant de couleurs. Il suffit pour s’en convaincre de relever les nombreuses notes d’érotisme qui émaillent la série des Dracula (avec ou sans Christopher Lee d’ailleurs) ou des Frankenstein, la manière dont l’interdit est systématiquement franchi et puni par une société corsetée et bien-pensante. On flirte déjà avec les tabous, tout en nourrissant une sous-culture (dont les racines rejailliront dans la très catholique Italie via Mario Bava et aux US à travers les films de Roger Corman auprès duquel toute la pépinière du Nouvel Hollywood s’est formée) d’où naîtront certes les zombies de Romero. Lorsque Polanski réalise « le bal des vampires », c’est moins un pastiche des films de la firme britannique qu’une manière détournée de montrer comment le cinéma d’épouvante s’accapare des sujets de société (réflexion également en germe dans ses magnifiques « répulsion » et « Rosemary’s baby » dont tu as très justement rappelé l’importance).
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Quand j’écris un article, le commentaire que j’attends vraiment c’est le votre, qui pousse toujours plus loin vers la réflexion du sujet. Je ne sous-estime pas la Hammer qui a une grande place dans mon coeur moi qui suis une grande fan de Vincent Price. Mais je n’avais jamais vraiment vu cet aspect de la firme et je vous dis donc merci. Le Bal des vampires quant à lui est un film que je vois souvent et où je ris à chaque fois aux larmes.
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Désolée pour le vouvoiement, je viens de me relire et c’était automatique, je crois que c’est parce que j’ai un grand respect pour tes articles de grandes qualités à chaque fois et je me retrouve souvent devant comme une enfant.
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ça c’est très gentil, merci beaucoup. 🙂
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Quel chouette article, vraiment passionnant ! Le Nouvel Hollywood ( car je crois bien que c’est cette période ) marque vraiment un renouveau dans le cinéma, avec tous les exemple que tu as parfaitement cités. J’ajouterai aussi que la plupart des slashers, comme Deliverance et Massacre à la Tronçonneuse pour ne dire qu’eux s’inscrivent dans un genre plus vaste, celui du Southern Gothic, qui vient fracasser l’idéalisme Américain en réveillant toutes les tensions, traumatismes et misères qui hantent encore certaines zones rurales. Mais je ne fais que répéter ce que tu as déjà très bien dit, merci pour cet article !
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Je ne connaissais pas du tout le Southern Gothic, et en regardant sur wikipedia je remarque qu’il englobe des œuvres extrêmement différentes. Pour Délivrance et Massacre à tronçonneuse, il est vrai que le public citadin est confronté à une sorte d’être congénitale, tout comme pour la colline à des yeux, où l’homme est monstrueux par son apparence physique et son absence de morale religieuse.
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Très sympathique chez toi… Je reviendrai…
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Merci ça sera avec plaisir ^^
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Chouette ton billet 🙂 C’est presque une bucket list des meilleurs films, et je me rend compte que je les ai tous regardés sauf celui de George Romero.
Merci pour ton passage sur le blog à propos !
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C’est vrai que les films américains d’horreur de cette décennie sont tous cultes! Raison de plus pour en faire un article 😉
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Super, tous les films qui ont bercé ma jeunesse. A quand une rubrique sur le Cinéma d’horreur américain des années 80.
Pour que tu nous fasses une rétrospective avec Sam Raimi, Brian de Palma etc etc …
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Je ne sais si je parlerai du cinéma des années 80, mais du coup tu peux t’en charger je serai très heureuse de te lire!
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A tenter, why not ?
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C’est génial cette rétrospective ! Merci
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Le film que je sors de ta liste est incontestablement « Délivrance »… Ça reste pour moi un chef d’oeuvre avec des scènes d’une grande qualité, notamment celles ou le banjo s’emballe pour notre plus grand plaisir.
..
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