Le Cinéma n’est à mes yeux pas un art qui rend feignant. Certes contrairement aux romans il apporte en plus du récit des images, mais celles ci permettent la réflexion par la symbolique et le traitement à l’intérieur du cadre (ou même à l’extérieur, mais nous y reviendrons). Il peut donc y avoir autant d’interprétations d’un film qu’il y a de spectateurs. Les non-dits sont alors sujets à spéculations et sont le reflet du propre ressenti du spectateur sur un film. Mais quand une oeuvre est décortiquée par une franchise ou même par l’interprétation énoncée du réalisateur, elle est dépossédée de la vision subjective que s’est fait le spectateur. Il y a de nombreux exemples de cette obstination à imposer l’interprétation d’une oeuvre, mais aujourd’hui je vais parler du cas Ridley Scott. Je tiens à préciser que tout ce qui sera dit dans cet article est une vision très personnelle sur cet art qu’est le Cinéma. J’en donnerai mes propres définitions, qui ont évidemment été énoncées par d’autres bien avant moi. Mais comme pour toute réflexion elle a ses réfractaires et vous en ferez peut-être partis. J’ai hâte d’en discuter avec vous dans les commentaires.

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Noomi Rapace sur le tournage de Prometheus

Pour commencer je vais énoncer une distinction que je fais entre un cinéaste et un réalisateur. Encore une fois c’est une opinion personnelle. Une photo prise par papa pendant votre mariage n’est pas une oeuvre d’art… Même si la Photographie est un art. Il en va de même pour un film et pour un réalisateur. À mes yeux un réalisateur est un très bon technicien qui va réaliser un film qui ne sera pas une oeuvre d’art, même si le Cinéma en est un (et quel art mes amis!!). Un cinéaste est un artiste qui va avoir sa propre vision du monde qui va être comme une obsession dans tous ses films, qu’il en fasse 3 ou 30. Sa patte est reconnaissable par son style, ses thématiques, … Steven Spielberg par exemple est un cinéaste. Ces films sont reconnaissables par ses thématiques (l’enfance, …), le traitement de l’image (éclairage fumé, …), … Ça me tue de le dire mais même Michael Bay est un cinéaste. Quand je fais cette distinction je ne veux pas paraître pompeuse et même un blockbuster peut être une oeuvre d’art tant qu’il entre dans la continuité des obsessions d’un artiste.

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Rencontre du Troisième Type, Steven Spielberg, 1977

Cette distinction je la fais pour comprendre l’oeuvre de Ridley Scott. Je n’ai pas besoin de dire que c’est un immense cinéaste et qu’il a fait trop de chef-d’œuvres pour tous les énumérer. Mais sa volonté d’étendre l’univers d’Alien qu’il a crée vers des films expliquant la genèse de la créature ne relève pas à mes yeux d’une obsession vers une oeuvre étendue façon Tolkien ou George Martin. Le parallèle entre le personnage de Daniels dans Alien Covenant est par exemple trop évident avec celui de Ripley dans Alien, le huitième passager pour parler d’une progression innovante dans son arc créatif. Et si Prometheus reste un film passable, vouloir expliquer les quelques trous et incohérences du film dans Alien Covenant en font un long-métrage bancal et stérile dans son développement. Ce qui était incroyable dans le premier film de 1979 c’était justement l’aura de mystère qui entourait le vaisseau abandonné sur LV-426 et les œufs qui y étaient présents. L’imaginaire du spectateur permettait de ne pas donner de frontières aux limites de l’horreur. Jusqu’à dans sa manière de filmer, Ridley Scott avait à l’époque compris que tout montrer n’était pas judicieux. En effet, de par la noirceur du vaisseau, la créature est juste entrevue ce qui accentue l’ambiance du film. OK Ridley Scott avait ce parti pris parce qu’il trouvait que les effets spéciaux de l’époque ne permettaient pas de montrer trop la créature sans crier au ridicule mais c’était pertinent. Révéler la genèse de la créature ne fait que précipiter la destruction du mythe alien et du questionnement qui entourait la présence de ce monstre à l’évolution si complexe. Facilité le regard du spectateur en lui donnant toutes les informations c’est le sous estimer et en faire un simple témoin sans réflexion. C’est passé de l’oeuvre d’art Alien, le huitième passager à de simples films dans la masse avec Prometheus et Alien Covenant.

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Ridley Scott et Katherine Waterston sur le tournage de Alien Covenant

Autre pilier du Cinéma signé Ridley Scott, Blade Runner laisse sur sa fin un véritablement questionnement sur ce qu’est l’humain et donne au spectateur le loisir de définir les frontières entre l’homme et la machine et d’y définir sa propre philosophie. Mais là encore le réalisateur a voulu donner son interprétation personnelle sur le personnage de Richard Deckard interprété par Harrison Ford en disant qu’il était en fait un répliquant (dans une interview il y a environ 15 ans). Je vais être quelque peu abrupt mais honnêtement, on s’en fout! Le cinéaste a donné sa vision du film en le faisant! Le montage est terminé, désormais il est dans les mains du spectateur qui doit en faire sa propre interprétation. Harrison Ford a ensuite dit qu’il avait joué Deckard comme si c’était un humain et c’est d’ailleurs à mes yeux là où est toute la poésie du film et je rejoins Ford sur ce point, Deckard a moins d’humanité que les robots qu’il affronte, c’est là où se trouve toute la beauté et l’ironie du film. Et d’autres spectateurs seront en désaccords avec cette théorie et en cela une oeuvre continue de vivre. Après des propos comme ceux de Ridley Scott, la discussion autour de la condition du personnage sont vaines, il ne laisse plus champ à l’interprétation et en cela il a retiré une partie de la magie de l’oeuvre à mes yeux.

Blade Runner: The Final Cut
Blade Runner, Ridley Scott, 1982

Je n’ai pas cherché à expliquer les raisons pour lesquels Ridley Scott a voulu faire Prometheus et Alien Covenant, mais à comprendre pourquoi tout expliquer dans des suites ou prequel détruit l’aura qui peut entourer un film original, jusqu’à créer une volonté chez les fans de refus de l’univers étendu. Vous êtes peut-être fan des nouveaux films ou en désaccords avec mes théories, j’attends votre avis de pied ferme dans les commentaires.