Compte rendu de mon entretien téléphonique avec Jean-Luc Gaget, 1h20 de discussion avec ce monsieur humble et accessible, merci 1000 fois à lui de m’avoir permis de vivre cette incroyable expérience, vécue avec stress, timidité et passion.
Jean-Luc Gaget est un scénariste, dialoguiste, réalisateur, monteur, acteur, … français. Il a reçu le César du meilleur scénario avec Sólveig Anspach pour le merveilleux L’Effet Aquatique. Il avait d’ailleurs déjà été nommé par deux fois aux Césars et a reçu tout au long de sa carrière de nombreux prix. Il a travaillé avec Sólveig Anspach entre autres sur Back Soon, Queen of Montreuil et Lulu Femme Nue. Jean-Luc Gaget a également scénarisé d’autres films comme Je te mangerais et Zouzou. Il travaille aussi pour la télévision avec Les Petits Meurtres d’Agatha Christie et de nombreux autres téléfilms, et a réalisé des courts métrages ainsi qu’été co-réalisateur sur des longs. Pour plus d’informations sur sa carrière cinématographique, je vous invite a voir sa filmographie sur les sites spécialisés.
Je vous conseille de voir son très émouvant discours lors de la Cérémonie des César 2017.
Bonjour, je suis vraiment très heureuse de faire cet entretien avec vous. J’avais vu votre discours aux César qui m’avait beaucoup ému. Cela fait déjà 6 mois, est-ce que les choses ont changé pour vous depuis la cérémonie?
Sólveig Anspach n’était plus là et je me devais de raconter l’histoire de notre couple d’écriture, plus d’une douzaine d’années, en 1min45s. Je voulais rendre hommage à notre travail mélange de « tricot » et de « ping-pong ». J’ai eu beaucoup de retours sur ce discours, ce qui m’a surpris, les gens ont été très émus. Avoir le César ça a porté un éclairage sur mon travail. J’avais déjà des projets en route mais ça a précipité certaines rencontres et en a fait naître d’autres. C’est plus simple à mon âge, ça permet de calmer certaines angoisses sans croire que tout est arrivé, car scénariste c’est un métier où le doute est essentiel. Quand on est plus jeune j’imagine qu’avoir un César c’est plus compliqué, c’est toujours une sorte de traumatisme quand on est mis trop rapidement en lumière.
Dans Aurore sur lequel vous avez travaillé et dans Lulu Femme nue, les héroïnes sont des femmes mûres. Vous donnez l’impression au fil de votre filmographie que vos personnages gagnent en maturité avec vous, c’est conscient ?
Je préfère dire complexité. Et ça, je le dois beaucoup à ma rencontre avec Sólveig Anspach avec qui le travail sur le personnage était au centre. Sólveig m’a ouvert au réel car elle vient du documentaire. On s’est contaminé mutuellement, je crois, moi par l’imaginaire qu’elle s’est autorisé à convoquer, elle par le réel sur lequel elle m’a ouvert les yeux. Ça surprend certains partenaires d’écriture car je m’arrête longuement sur les personnages avant d’attaquer l’intrigue, une histoire naît toujours de l’étincelle créée par la rencontre entre deux personnages, bien connaître ses personnages est donc indispensable. On est tous unique et il faut trouver dans le travail des personnages cette dimension là. Avec Sólveig on a crée nos histoires sur des intentions de personnages, jamais sur une thématique ou une démonstration, mon intérêt pour un scénario passe de plus en plus par eux. Quand on a trouvé la bonne couleur des personnages, la bonne épaisseur, leurs motivations, leurs désirs secrets, leurs pedigrees, familial ou psychologique, on est porté par eux dans l’écriture. Je n’invente rien, tous les écrivains le disent… Ensuite, il reste à… inventer. Le geste artistique est un aller et retour entre savoir faire et laisser-aller, accueil de la matière brute et organisation de cette matière… Je reste convaincu qu’il faut aussi un brin de générosité pour livrer un peu de son intimité, sans impudeur bien sûr. Car c’est cette intimité partagée qui est au cœur de l’identification du spectateur avec les personnages.

Vous avez en majorité travaillé avec des réalisatrices et vous avez plusieurs fois scénarisé des films pour Sólveig Anspach et Blandine Lenoir. Qu’est ce qui vous a amené à ces collaborations ?
Je ne sais pas… J’ai beaucoup écrit pour des hommes aussi… Le monde des femmes me correspond sans doute plus. Quand on écrit un scénario, on sait qu’on va être en intimité avec l’autre pendant des mois, il faut être capable de partager avec cette personne les choses qui comptent, les blessures, les naïvetés, les noirceurs… sans cela, on reste à la surface des choses, à la mécanique dramaturgique. Ça m’est sans doute plus facile avec une femme. Ou avec des hommes aussi qui assume cette fameuse part féminine. On voit donc assez vite avec qui c’est possible ou pas. C’est une torture quand ce partage est difficile voire impossible, on ne peut pas travailler correctement, personnellement, j’ai du mal à donner le meilleur de moi-même. Avec Sólveig Anspach, il y a eu cette complémentarité, ce désir d’aller dans le même sens. J’ai eu d’autres complicités, notamment Blandine Lenoir. On a travaillé ensemble sur Zouzou, son premier film, c’était une expérience très particulière. C’était à la base un court métrage de 25 minutes qu’elle m’a demandé de transformer en long, je l’ai donc aidé à bâtir son histoire, le reste, elle l’a improvisé avec ses acteurs. Blandine Lenoir est une vraie cheffe d’orchestre, elle aime les créations collectives. Elle aime que tout le monde alimente le film, elle se nourrit des inspirations de tous. C’est une force quand on réalise un film, et c’est pour moi le plus grand des talents.

Vous avez écrit pour la télévision des épisodes des Petits Meurtres d’Agatha Christie et Lulu Femme Nue est l’adaptation d’une bande dessinée. En quoi le travail d’adaptation est-il différent d’un scénario original ?
Il y a une fausse idée sur les adaptations. Les gens pensent qu’on prend le matériau et qu’on le transpose tel quel à l’écran, en découpant l’original en tranches. On doit en fait d’abord gommer ce qui fait « littérature », et trouver des équivalences visuelles. Quand on a enlevé tout ça, il y a forcément des trous, des trous de récit, des trous de personnages, des trous, des petits trous, toujours des petits trous… il faut alors faire du tricot, ce tricot cher à Sólveig inventer, harmoniser, parfois rajouter un personnages, ou en compacter deux. La temporalité est différente, la nature des ellipses aussi, et dans les romans et la BD, elles opèrent différemment. Un roman qui dit « je » peut devenir un film qui dit « ils ». Une case de BD avec une bulle de dialogues peut devenir une scène d’action de dix minutes. On dit toujours que pour bien adapter, il faut bien trahir, je ne sais pas… Il faut avoir une sorte d’irrespect, et se sentir libre, les romans qu’on a adorés sont sans doute les plus difficiles à adopter. L’histoire du cinéma est là pour en témoigner. J’ai été monteur pendant plus de dix ans, c’est une très bonne école pour devenir scénariste. Un film peut se voir comme un puzzle, il faut savoir où mettre les pièces, et pour cela, il faut garder une vision globale, et comme un peintre, prendre du recul après chaque touche de couleur ou chaque trait posé sur la toile.

Le Cinéma a pour moi une sorte de sacralité. Le rituel pour les films est présent même chez les profanes, par exemple avec le film du dimanche soir. D’ailleurs il y a une étude qui dit que les habitués des salles obscurs se mettent toujours devant et les habitués du petit écran vont au fond.
Je me mets toujours au quatrième rang à gauche ou à droite de la rangée. Je vais beaucoup au cinéma. Le plus que je peux. J’adore les salles à moitié vide. Aller au cinéma reste une messe pour moi. Le noir se fait, on lève la tête vers l’écran, cette émotion là, je la ressens depuis le début, et elle ne me lâche pas, quel que soit le film à voir. C’est comme un rendez-vous amoureux. Tout est possible, tout est espoir. En plus, mes goûts sont éclectiques, De Funès ou Bergman, Fellini ou les films de zombies, Buñuel, Truffaut, série Z, comédies potaches… il y a pas de hiérarchie pour moi entre film d’auteur et film commercial, seul compte l’émotion. Qu’importe le flacon quand on a l’ivresse… Récemment j’ai adoré Que Dios Nos Perdone que je conseille ainsi que Le Caire Confidentiel, Wind River, Ôtez moi d’un doute, et aussi la série Stranger Things. J’ai vu Le Redoutable de Michel Hazanavicius, c’était très plaisant quoi que peu flatteur pour le personnage Godard. Une sorte de pastiche/biopic vraiment agréable à voir, assez drôle, j’avais d’ailleurs lu le livre d’Anne Wiazemsky qui m’avait fait une impression très différente, comme quoi les adaptations…
Est-ce que ça vous arrive de rencontrer des acteurs sur les tournages ou pour préciser un rôle?
Ça m’arrive bien sûr de rencontrer les acteurs. Un scénario ça bouge beaucoup au tournage parce qu’on se rend compte que certaines choses ne fonctionnent pas, la matière change de nature, c’est donc inévitable, alors on change ça en improvisation ou avec de la réécriture. Un film c’est au plus 80% du scénario et le reste s’invente en tournage, mais si ça sort trop des rails, on a parfois besoin du scénariste pour raccrocher les wagons. Le scénariste est un peu la mémoire des intentions. On est là parfois pour certains comédiens qui ont besoin de tout déconstruire pour comprendre le rôle, alors que d’autres qui utilisent l’instinct et le fil de l’inspiration n’ont pas envie de discuter du personnage. Ce qui est important c’est l’énergie qui est présente sur le film durant le processus de création, et surtout au tournage. Le scénario reste le menu du repas auquel on est convié, ou le plan du voyage qu’on a rêvé pendant des mois, la surprise ou l’inattendu sont toujours les bienvenus, question de courage ou d’inconscience. Et puis, au montage, on reprend le travail de scénario avec une matière qui a été transformée par le tournage, les acteurs, la tension, l’énergie de l’équipe, les accidents heureux ou malheureux. Le scénario continue à s’écrire jusqu’au mixage, un son rajouté, une musique peuvent parfois éclairer une scène, lui donner un sens qu’elle n’avait pas au départ. Il faut savoir accueillir tout cela avec beaucoup de vigilance et de générosité.

Merci beaucoup d’avoir répondu à toutes mes questions. Pour terminer quels sont vos futurs projets?
Beaucoup de chantiers en cours, qui sont à des étapes très différentes. Par superstition, on n’évoque les films que quand ils sont en boite. Mais je dis toujours que je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur… Et puis aussi, j’ai aussi plein de films à voir et de livres à lire. Et de dîners à préparer, avec ou sans menu…
Sympa ton carnet d’adresse 😉
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T’as vu ça ! En fait c’est plus du culot qu’un véritable carnet d’adresse que j’ai 😉
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Moi aussi je voudrais y aller au culot avec Scarlett Johansson, mais j’ai pas son numéro… 🙂
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Franchement pour moi ça serait Russell Crowe et Peter Jackson. Je crois que si je les voyais je me jetterais à leurs pieds, je dirais que je les aime d’amour depuis la moitié de ma vie, que je voudrais faire une interview d’eux que je relirais tous les jours de mon existence… Mais je pense qu’à ce moment là les hôpitaux psychiatriques arriveraient pour m’embarquer ^^’
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C’est souvent comme ça que l’on arrive à ses fins …Qui ne tente rien n’a rien !!!
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Wahou, ça c’est juste super classe, j’avoue que tu m’as fait rêver ! C’est une interview extrêmement intéressante et qui donne envie de découvrir beaucoup de choses 😃
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Je conseille vivement l’Effet aquatique et Lulu femme nue qui sont vraiment les films que j’ai préféré, ainsi que Je te mangerais.
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Chouette!
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Félicitations, bel entretien…. Parfois, le culot ça paye !!!!
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Oui, d’autres fois non mais au pire on a un refus, ça ne fera jamais un deuxième trou comme dirait mon père ^^’
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Excellent entretien ! Bravo ! 😉
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Tu fais pas les choses à moitié ! L’Île Maurice te remercie Lol ! Non franchement c’est une super interview ! 😉
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Fais la pub de mon blog à L’ile Maurice, je veux avoir chaque jour un bout de soleil dans ma banlieue tabernacienne 😉
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Merci beaucoup pour ce super article!! J’ai adoré découvrir le travail de scénariste, l’envers du décor 🙂
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C’est malheureusement un métier de l’ombre. J’ai ainsi découvert que les scénaristes n’avaient pas le statut d’intermittent ce qui est assez scandaleux…
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Carrément!!! c’est pourtant une partie indispensable pour la réalisation d’un film. Mais tu sais tout ce qui touche à la création artistique en France est finalement très peu protégé
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Pourtant j’avais l’impression qu’il y avait de vrais aides en France, plus qu’ailleurs, même si ce n’est jamais assez par rapport à la condition extrêmement précaire de ces métiers.
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En tout cas pas pour tout ce qui touche aux métiers qui ne sont pas sous les feux de la rampe
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Trop la classe cette interview !! En plus tu me fais découvrir les films de Solveig que je n’ai jamais vu. Hop hop hop dans wishlist ciné !
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La filmographie de Soveig Anspach est vraiment à découvrir, elle fait des films joyeux, on a envie à la fin de découvrir le monde, manger des kilos de chocolat, nager, danser, aimer!
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Une interview super intéressante!!
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Bravo pour cette interview! C’est la classe!
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Merci 😀
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