Entretien avec Eric, rédacteur en chef et fondateur du webzine Je suis un gameur.com. Je suis Eric depuis le tout début de l’ouverture de mon blog, et même durant ma pause de 1 an et demi j’ai continué de prendre plaisir à lire ses articles et ceux des ses collaborateurs. Je suis un gameur.com est un site pointu qui se questionne régulièrement sur l’impact et de la place du Jeu Vidéo dans la société et apporte un aspect neuf en parlant de jeux indépendants comme iconiques. Merci à lui d’avoir pris le temps de répondre à cet entretien que j’ai pris plaisir à faire et à lire, j’espère qu’il en sera de même pour vous.

Marion: Bonjour Eric, parle nous un peu de toi pour ceux qui ne te connaissent pas encore…

Je m’appelle Eric, j’ai 32 ans, et je suis le fondateur et rédacteur en chef de Je suis un gameur.com, un web magazine qui parle essentiellement de jeux vidéo. J’ai la chance et l’honneur de l’animer aux côtés de quatre journalistes aux profils variés, mais tous spécialistes dans leur domaine : Arnaud, Coline, Emilie et Pierre-Yves.
En parallèle du webzine, je possède aussi une chaîne YouTube également baptisée Je suis ungameur.com. J’y publie des vidéos tests et différentes chroniques, même si ces dernières années,je me suis spécialisé sur certains jeux spécifiques, notamment Les Sims 4, Plants vs. Zombies et certains jeux de sport de niche.

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Plants vs. Zombies: Garden Warfare 2

Tu es un passionné de Jeux Vidéos mais aussi de Cinéma, quand as tu commencé à t’intéresser à ces deux univers?

J’ai découvert les jeux vidéo bien avant le cinéma, à l’Île Maurice (je suis franco-mauricien). Je m’en souviendrai toute ma vie. À l’époque, mon père, français, était prof, et ma mère était femme au foyer. Nous vivions bien, nous ne manquions de rien ma sœur et moi. Chaque été, nous avions la chance de passer deux mois à l’île Maurice, dans la maison de ma grand-mère, qui vient d’un milieu très défavorisé. Chaque après-midi (ou presque), on allait chez l’un de nos voisins, un monsieur d’une trentaine d’années qui avait le minimum syndical pour subvenir à ses besoins.
Dans une sorte de salon de fortune recouvert de vieille tôles rouillées par les pluies diluviennes trônait un téléviseur cathodique et une console. Je ne me rappelle pas laquelle c’était. Avec les enfants du quartier, on jouait tous ensemble à un jeu de char qui fait beaucoup penser à Bomberman. L’objectif consistait à éliminer les tanks ennemis à bord de notre engin mais il fallait détruire les obstacles qui nous barraient la route. On se passait les manettes à tour de rôle et ce fut ma première vraie rencontre avec les jeux vidéo.

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Killer7

Le cinéma, je ne m’y suis intéressé que bien plus tard. Certes j’ai regardé beaucoup de films quand j’étais gamin… Mais je me suis intéressé au cinéma en tant que discipline qu’en 2004, dans le cadre de ma scolarité. J’ai eu la chance de faire partie d’une promo pionnière en son temps puisque j’ai fait un Bac Littéraire Option Cinéma-Audiovisuel. À ma connaissance, en 2004, en France, seuls deux établissements avaient des professeurs agréés pour enseigner le cinéma. J’ai donc bouffé du cinéma pendant deux ans à raison de sept heures par semaine (analyse de films, découpage de plans, rédaction de synopsis, de story-boards, scénarios et bien sûr on passait souvent derrière la caméra).
Honnêtement, jeux vidéo et cinéma confondus, je ne suis attaché à aucun genre en particulier. Je suis capable de jouer à n’importe quoi par exemple. Par contre, mes propos en matière de cinéma seraient plus nuancés. Par exemple, je ne supporte pas les films d’épouvante, pour la simple et bonne raison que je crois qu’il est dangereux et vicieux d’oser parler de choses dont nous ne comprenons rien, mais qui existent réellement et peuvent nous faire du mal. Tout ça pour dire que je ne peux pas regarder un film avec des esprits ou fantômes parce que je sais que ces choses existent : j’ai vécu des choses dans ma vie qui ne me permettent pas de faire preuve de dérision ou de légèreté devant un sujet si délicat.

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Bioshock Infinite

Malgré tout, je peux te donner des noms de jeux qui ont bouleversé ma vie : l’ensemble des BioShock par exemple, mais aussi tous les titres du studio Supergiant Games (notamment Transistor), j’adore aussi le travail de Suda51 (Moolight Syndrome, Lollipop Chainsaw, Killer7 etc).
Concernant mes films préférés, je dirais : A History of Violence (j’aime le style et les sujets abordés par David Cronenberg), absolument tous les films de Darren Aronofsky (The Wrestler, The Fountain, Requiem for a Dream). Dernièrement, le seul réalisateur qui m’a marqué est Jordan Peele (Get Out). C’est un mec qui ose des choses, qui insuffle quelque chose de nouveau à l’industrie cinématographique et qui reste fier de ses valeurs, qu’on les apprécie ou pas.

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History of Violence, David Cronenberg, 2005

Quels sont à tes yeux les meilleures adaptations de jeux vidéos en films, et de films en jeux vidéo ?

Question compliquée… Bon, je vais faire une petite exception à la règle et placerais Silent Hill comme le meilleur film adapté d’un jeu vidéo. Dans un genre totalement différent, Pokémon : le film est également mythique !
Dans le sens inverse, ça se complique davantage car j’estime que le cinéma en tant qu’art se perd de plus en plus (ne nous détrompons pas, cela est également le cas du jeu vidéo). Son industrialisation massive anéantit toute volonté créatrice. Faire un film aujourd’hui, c’est se questionner sur sa rationalité, sa rentabilité économique plus que sur le courant d’idées, la démarche créative où la volonté artistique de son auteur. Je peux citer un tas d’exemples de films récents tirés de jeux vidéo populaires qui m’ont donné le sentiment d’avoir perdu mon temps (et accessoirement une dizaine d’euros dépensés en ticket de cinéma) : Warcraft : le commencement, Assassin’s Creed : le film, Tomb Raider

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Silent Hill, Christophe Gans, 2006

Même si on parle de 7ème art depuis les années 20, le cinéma est réellement considéré comme tel seulement depuis le début des années 60. Quand penses-tu que le jeu vidéo sera perçu ainsi unanimement ?

Je pense que dans la plupart des têtes cela est déjà le cas. En France, le jeu vidéo est le premier produit culturel. En 2018, ce n’est pas Bohemian Rhapsody, le dernier film Avengers ou le bouquin annuel de Guillaume Musso qui furent en tête des ventes, c’est FIFA 19 (même si FIFA c’est de la merde). Cela signifie que les gens dépensent plus en jeux vidéo qu’en livres ou en films. De toute façon, la majorité de ceux qui décrient le jeu vidéo sont ceux qui souffrent d’un manque à gagner, c’est-à-dire les groupes de télévision et les chaînes d’information à la TV qui ne parviennent pas à capitaliser sur un produit vecteur de croissance et d’avenir. Je suis sincèrement persuadé que le jeu vidéo commence à être reconnu en tant que produit culturel ; cela est particulièrement le cas au Canada par exemple, pays où j’ai eu la chance de résider. Mais je n’irais pas jusqu’à dire que le jeu vidéo est un « art ». C’est sans doute la réunion de plusieurs formes d’arts ou de disciplines. Mais on n’orchestre pas un jeu vidéo comme on le fait pour un film.

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Erica

Ces deux divertissements se nourrissent l’un et l’autre. Les jeux vidéo sont adaptés en films, les films en jeux vidéo, les avancées technologiques comme la performance capture sont des techniques partagées, de grands acteurs comme Willem Dafoe jouent des rôles dans les jeux vidéo ou doublent les personnages. Penses-tu que le jeu vidéo et le cinéma sont destinés à se mêler pour ne faire qu’un ? Je pense notamment à Erica sorti il y a une semaine sur PS4…

C’est vrai que les FMV commencent à se constituer un public. Erica est un très bon exemple puisqu’il s’agit d’un thriller interactif. C’est tout à fait le genre de produits qui fusionnent jeux vidéo et cinéma, à tel point que la frontière qui séparent les deux est à peine perceptible. Je pense en effet que jeu vidéo et cinéma sont destinés à ne faire qu’un. Récemment, j’ai joué à Detroit: Become Human du studio Quantic Dream, présidé par David Cage. C’est quelqu’un qui essaie de créer des expériences hautement cinématographiques et immersives et qui ont du sens. Et je trouve qu’il y arrive très bien. Quand on aime les jeux vidéo, jouer à ce genre de jeux te permet d’être acteur d’un film, et non plus un simple spectateur. On constate également que certaines séries télévisées s’essayent à cette mode : Black Mirrors avec son épisode à fins multiples Bandersnatch ou encore Man vs. Wild. Peut-être que l’avenir réside dans les jeux vidéo réalisés à la manière de film avec des décors et acteurs en chair et en or (Erica, The Bunker etc.) ou dans les jeux vidéo qui utilisent les mêmes procédés de réalisation et moyens de production que le cinéma (Detroit: Become Human, Until Dawn et bientôt Man of Medan).

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Until Dawn

Quels sont tes projets? Comment vois tu l’évolution de Je suis un gameur.com ?

J’ai créé Je suis un gameur.com parce que je suis fatigué de tous ces sites qui font dans la désinformation, le click-bait, qui ne sont que de vulgaires vitrines pour les éditeurs de jeux vidéo. Imposer une vision différente (gratuité de l’information, rémunération des journalistes, pas de jeux concours mais des giveaways réservés à ceux qui participent à la vie du site via leurs commentaires, équité des sexes, entre autres choses), c’est facile et ce n’est pas évident à la fois, surtout quand on n’a pas des moyens illimités. Ma première volonté, c’est de faire en sorte que la Team JSUG se sente heureuse et épanouie (je pense que c’est le cas, on est tous des amis, chaque chroniqueur est valorisé, et ça c’est très important). Aujourd’hui, nous travaillons quasiment avec tous les éditeurs de jeux vidéo. Nous avons su gagner leur confiance, chose qui n’était pas aisée à la base car nous n’y allons pas de main morte quand nous parlons d’un jeu. Mais nous restons sur nos gardes car tout peut très vite changer… La prochaine étape, ça sera de couvrir un gros salon tous ensemble, probablement la Gamescom en août 2020. Puis pourquoi pas aller à l’E3 dans quelques années si on arrive à générer un peu plus de revenus ?
Je te remercie pour cette interview ma très chère Marion. Tu es une blogueuse fantastique, avec un style mordant comme je les aime et qui rompt avec tout académisme ! Je suis sûr que tu iras loin avec 28 films plus tard !