Les nouveaux supports numériques ont radicalement changés la façon dont le public s’intéresse au cinéma. Dans les années 60, la seule façon de (re)découvrir un film était de le voir dans des ciné-clubs. Mais avec la standardisation de la cassette, puis du lecteur DVD ainsi que la facilité d’utilisation des plate-formes de téléchargement, c’est tout un éventail de possibilité d’accès à l’art qui s’est ouvert pour les cinéphiles comme les profanes. Avec ce panel de support que sont les écrans de Cinéma, les téléviseurs, ordinateurs, smartphones et autres tablettes, comment le spectateur peut s’y retrouver et le film est-il appréhendé différemment ? Ce sujet pourrait être l’objet d’une thèse et l’a très certainement été, je vais alors puiser dans ma propre expérience pour tenter d’y avoir un début de réflexion.

Prenons en premier exemple Citizen Kane. Un ami cinéphile m’a un jour dit l’avoir regardé sur son smartphone dans le train. J’avais alors crié au blasphème (Là encore j’ai regardé des photos de bébés chats pour m’en remettre). Citizen Kane est communément considéré comme l’un des plus grands films qui soit, en tête de nombreuses listes plus ou moins officielles. Pour comprendre toute la mesure de cette œuvre d’art, n’ayons pas peur des mots, il faut à mon sens la voir sur un grand écran, immergé. On ne peut s’interroger sur le sens profond de cette histoire sans pouvoir analyser pleinement les symboliques qui se trouvent dans le cadre. L’image a tellement à dire qu’on ne peut la réduire à un écran de 3,5 pouces. Mais c’est là qu’on insinue qu’un film doit être vu en tant qu’œuvre artistique, non en tant que divertissement. Cela signifie-t-il que seul un film de divertissement peut être vu sur un support quelconque ?

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La Désolation de Smaug, 2013

Là encore j’y mets des réserves, car la plupart des films de divertissements font appels à des budgets conséquents quant aux effets spéciaux et je ne pense pas que l’effet visuel soit tout aussi spectaculaire sur un petit écran avec un son passable ou médiocre. J’avais vu au Grand Rex Pirates des Caraïbes en ciné-concert avec un orchestre de 70 musiciens. J’ai totalement redécouvert ce film et c’est désormais un souvenir indélébile grâce aux sensations que j’ai eu avec l’orchestre. Ce n’était plus à mon sens un simple film de divertissement, mais une réelle expérience sonore et visuelle. Mais un film n’est pas qu’une expérience individuelle, il peut aussi être un vécu collectif. Toujours au Grand Rex, j’ai assisté à la projection des Retour vers le Futur pour l’anniversaire de la trilogie ainsi qu’à l’avant première de La Désolation de Smaug. Ces œuvres sont encrées dans la pop culture et la communauté de fan geek qui était présente ces deux soirs formaient comme une seule entité. Des gens qui ne se connaissaient pas savaient qu’ils forment un groupe. L’ambiance dans la salle a permis d’apprécier encore plus les œuvres projetées, car le public était exalté. La moindre référence de la culture pop ou scène culte projetée était un prétexte pour faire entendre sa voix. Le son du film était alors quelque peu caché par ces cris mais l’œuvre était alors largement appréciée comme une expérience humaine significative.

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The Rocky Horror Picture Show, 1975

Ces expériences humaines communes peuvent aussi faire l’objet d’un culte régulier et permettre au cinéphile de faire parti d’une communauté hors de l’anonymat. C’est le cas pour The Rocky Horror Picture Show, qui passe au cinéma depuis plus de 40 ans partout dans le monde. En France, il est projeté tous les vendredis et samedis soirs au Studio Galande à Paris devant un public survolté qui jette chaque semaine riz et eau sur les animateurs imitant les acteurs de ce film devenu culte. Le public danse, chante et récite les répliques du film et le même auditoire revient souvent chaque week-end. Les animateurs et spectateurs partagent alors une même passion pour un film connu par cœur, mais tout de même apprécié. Le film est alors un spectacle de divertissement et une aventure humaine, car vécu en communauté.

Un film vu sur un smartphone permet de pouvoir rendre le cinéma accessible à tous et partout, mais c’est brader à mon sens cet art car ne pas en apprécier les détails et attraits. Le Cinéma devient alors non plus un passe-temps au sens de loisir et de passion, mais une chose pour passer le temps, juste une histoire distrayante racontée et non plus une œuvre interprétée dans sa globalité, avec ses réflexions et émotions.