Les nouveaux supports numériques ont radicalement changés la façon dont le public s’intéresse au cinéma. Dans les années 60, la seule façon de (re)découvrir un film était de le voir dans des ciné-clubs. Mais avec la standardisation de la cassette, puis du lecteur DVD ainsi que la facilité d’utilisation des plate-formes de téléchargement, c’est tout un éventail de possibilité d’accès à l’art qui s’est ouvert pour les cinéphiles comme les profanes. Avec ce panel de support que sont les écrans de Cinéma, les téléviseurs, ordinateurs, smartphones et autres tablettes, comment le spectateur peut s’y retrouver et le film est-il appréhendé différemment ? Ce sujet pourrait être l’objet d’une thèse et l’a très certainement été, je vais alors puiser dans ma propre expérience pour tenter d’y avoir un début de réflexion.
Prenons en premier exemple Citizen Kane. Un ami cinéphile m’a un jour dit l’avoir regardé sur son smartphone dans le train. J’avais alors crié au blasphème (Là encore j’ai regardé des photos de bébés chats pour m’en remettre). Citizen Kane est communément considéré comme l’un des plus grands films qui soit, en tête de nombreuses listes plus ou moins officielles. Pour comprendre toute la mesure de cette œuvre d’art, n’ayons pas peur des mots, il faut à mon sens la voir sur un grand écran, immergé. On ne peut s’interroger sur le sens profond de cette histoire sans pouvoir analyser pleinement les symboliques qui se trouvent dans le cadre. L’image a tellement à dire qu’on ne peut la réduire à un écran de 3,5 pouces. Mais c’est là qu’on insinue qu’un film doit être vu en tant qu’œuvre artistique, non en tant que divertissement. Cela signifie-t-il que seul un film de divertissement peut être vu sur un support quelconque ?

Là encore j’y mets des réserves, car la plupart des films de divertissements font appels à des budgets conséquents quant aux effets spéciaux et je ne pense pas que l’effet visuel soit tout aussi spectaculaire sur un petit écran avec un son passable ou médiocre. J’avais vu au Grand Rex Pirates des Caraïbes en ciné-concert avec un orchestre de 70 musiciens. J’ai totalement redécouvert ce film et c’est désormais un souvenir indélébile grâce aux sensations que j’ai eu avec l’orchestre. Ce n’était plus à mon sens un simple film de divertissement, mais une réelle expérience sonore et visuelle. Mais un film n’est pas qu’une expérience individuelle, il peut aussi être un vécu collectif. Toujours au Grand Rex, j’ai assisté à la projection des Retour vers le Futur pour l’anniversaire de la trilogie ainsi qu’à l’avant première de La Désolation de Smaug. Ces œuvres sont encrées dans la pop culture et la communauté de fan geek qui était présente ces deux soirs formaient comme une seule entité. Des gens qui ne se connaissaient pas savaient qu’ils forment un groupe. L’ambiance dans la salle a permis d’apprécier encore plus les œuvres projetées, car le public était exalté. La moindre référence de la culture pop ou scène culte projetée était un prétexte pour faire entendre sa voix. Le son du film était alors quelque peu caché par ces cris mais l’œuvre était alors largement appréciée comme une expérience humaine significative.

Ces expériences humaines communes peuvent aussi faire l’objet d’un culte régulier et permettre au cinéphile de faire parti d’une communauté hors de l’anonymat. C’est le cas pour The Rocky Horror Picture Show, qui passe au cinéma depuis plus de 40 ans partout dans le monde. En France, il est projeté tous les vendredis et samedis soirs au Studio Galande à Paris devant un public survolté qui jette chaque semaine riz et eau sur les animateurs imitant les acteurs de ce film devenu culte. Le public danse, chante et récite les répliques du film et le même auditoire revient souvent chaque week-end. Les animateurs et spectateurs partagent alors une même passion pour un film connu par cœur, mais tout de même apprécié. Le film est alors un spectacle de divertissement et une aventure humaine, car vécu en communauté.
Un film vu sur un smartphone permet de pouvoir rendre le cinéma accessible à tous et partout, mais c’est brader à mon sens cet art car ne pas en apprécier les détails et attraits. Le Cinéma devient alors non plus un passe-temps au sens de loisir et de passion, mais une chose pour passer le temps, juste une histoire distrayante racontée et non plus une œuvre interprétée dans sa globalité, avec ses réflexions et émotions.
It’s the difference between crossing something off your to do list versus adding a growth experience to the spectrum of your life. doing something without the necessary focus and attention more often than not robs you of the full impact that something could have had
J’aimeJ’aime
Je suis d’accord avec toi sur l’ensemble. Je considère le cinéma comme une sorte de musée. Le voir sur un écran de smartphone, ou même d’ordinateur, c’est passer à côté de quelque chose. Que ce soit un cinéma de divertissement ou d’auteur, certains films sont fait pour la salle. J’aurais même tendance à dire que le divertissement prends de plus en plus conscience de ce rapport au grand écran. J’avais trouvé Gravity fabuleux sur grand écran, sur sa façon de faire ressentir le vertige et le vide ( alors même que je ne l’ai pas vu en 2D ). Une vraie déception de le revoir sur un écran de télévision, parce que les perspectives et les enjeux ne sont plus le même. Pareil pur The Revenant plus récemment. Le film est clairement fait pour le cinéma, avec son travail immense de l’immersion et de l’expérience sensorielle ( le bruit venant des hors-champs, le rapport cutané à l’oeuvre qui cherche à nous faire mal physiquement ). Ca sera quelque chose d’autre. Ou encore l’exemple des Midnight Movies, comme tu le cites très justement avec The Rocky Horror Picture Show, qui transforme la salle en un foutoir presque sacré. Je suis totalement contre à cette » accessibilité » à tout va. Parfois il y’a des choses qui doivent rester sacré. Un peu comme se vanter d’avoir vu la Joconde sur une feuille A4 en noir et blanc de mauvaise qualité.
J’aimeAimé par 1 personne
Tes exemples sont d’autant plus pertinents car Iñárritu et Cuarón ont clairement une volonté d’expérimentation visuelle, sonore et technique, tout comme Nolan avec son Interstellar. D’ailleurs pour revenir sur Cuarón, je regrette de ne pas avoir vécu au cinéma l’incroyable plan séquence en voiture dans Le Fils de l’Homme. https://www.youtube.com/watch?v=tRwZD2kdW04
J’aimeAimé par 1 personne
Wouah, merci pour cette belle découverte, il me tarde de voir le film ! ( D’ailleurs Lubezki à la photographie, comme pour The Revenant, comme quoi ! )
J’aimeJ’aime
Suivant les pas de « Citizen Kane », je me retrouve à dos de Licorne afin de commenter cette réflexion fort intéressante sur le mode de consommation cinéphile de notre temps. Je suis globalement d’accord avec l’ensemble des arguments et me joins au commentaire précédent qui évoque « la Joconde » sur une mauvaise photocopie. On est d’accord : prétendre qu’on a vu « Citizen Kane » sur une smartphone dans le train, c’est comme se vanter de savoir ce que représente « les noces de Cana » de Veronese après l’avoir vu sur un timbre poste. Un film a une dimension qui, si l’on se range à l’avis de Jean-Luc Godard, doit être supérieure à l’individu qui le contemple. Ceci exclut donc également les téléviseurs qui, même si leur taille a sérieusement dernièrement, sont encore loin de rivaliser avec les écrans larges de nos salles obscures. Il y a pourtant, il faut l’admettre, des films qui se suffisent à ces dimensions modestes, car ils n’ont pas été pensés dans les grandes largeurs. « bienvenue chez les ch’tis » me semble tout aussi drôle dans la petite lucarne sans que j’ai l’impression d’en rater la dimension principale. D’autres en revanche, pour des raisons de distributions problématiques, se retrouvent cantonnées au marché du DVD alors qu’ils auraient eu largement leur place sur grand écran. Mieux vaut donc privilégier les meilleures conditions pour voir un film : un mur blanc, un vidéoprojecteur, et le cinéma s’invite à la maison pour revisiter les chef d’œuvres d’hier et d’aujourd’hui : « l’aurore », « Metropolis », « Lawrence d’Arabie », « La Horde Sauvage », « Star Wars » ou « l’Hôtel du Nord » n’ont définitivement pas la même gueule d’atmosphère quand se fait tout petit face à eux.
J’aimeAimé par 2 personnes
J’aime cette maxime de Godard, le film nous impose son expérience. Le romancier et cinéaste Alain Robbe Grillet disait que le Cinéma était un art qui abrutissait le spectateur car il se laisse porter et n’engage pas de réflexions. Je suis d’accord sur la première partie, mais contrairement à lui je ne vois rien de péjoratif à l’immersion totale dans un film. Quant à la réflexion, je n’ai pas dormi de la nuit après avoir vu pour la première fois Le Ruban Blanc, c’est bien que l’esprit se cogne et spécule, ce n’est pas un art contemplatif dans l’instant seulement.
J’aimeJ’aime
Permettez moi d’ajouter ma pierre ou pierrette et tout le bon sens dont je peux être capable en cette période de forte chaleur… Je crois qu’il est bien de respecter tout simplement le format désirer par les réalisateurs ou les studios pour découvrir pour la première fois (et, au mieux, les suivantes) une oeuvre. Quoique cette simple démarche achoppe parfois (souvent ?) contre les réalités matérielles, ainsi les formats spécifiques souhaités par Nolan par exemple ou Tarantino ou Peter Jackson pour prendre des exemples récents… Toutes les salles ne sont pas forcément équipées pour diffuser des films qui imposent des contraintes matérielles « exceptionnelles » et au pire il peut arriver que ce soient les diffuseurs et les projectionnistes qui s’en moquent. Néanmoins ces questions s’écartent de l’idée soutenue plus haut concernant l’expérience collective du cinéma et de la « supériorité » du film sur le spectateur ; jusqu’à ce que le spectateur devienne critique et choisisse lui-même de se soumettre à ce statut ou non !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est vrai que le format n’est pas toujours respecté par les projectioniste, faute de matériel plus de volonté je pense (j’espere!). Je pense notamment au format 70 mm qui est très peu présent en France et que Nolan adore. Merci pour ces remarques qui approfondissent la question 😉
J’aimeAimé par 1 personne