Ce que j’aime dans la vie, ce que je mets au dessus de tout, c’est la passion. Alors quand j’ai la chance de rencontrer quelqu’un comme Julie, psychologue clinicienne, j’écoute avec attention et intérêt. Parce que quand Julie parle de son métier, on peut voir une étincelle dans ses yeux, celle que tout le monde veut avoir pour sa profession. Alors quand j’ai vu que Julie parlait du Joker sur sa page Facebook, je me suis dit qu’il fallait se lancer pour une interview. On a parlé supers vilains, réalisme et actualité. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cet entretien que j’en ai eu pour le faire.
Julie a un blog, Psycho & Co, où elle parle de ses débuts en tant que clinicienne et où elle partage ses lectures mais aussi son ressenti sur son travail. Je vous invite à le découvrir, pour briser les clichés sur un métier mal connu.
J’ai lu un jour l’interview d’un batteur qui disait avoir du mal à adorer Whiplash, bien qu’il reconnaisse des qualités cinématographiques au film, car les scènes de batterie n’étaient pas crédibles. En tant que psychologue, as-tu le même sentiment devant certains films, où la personnalité de protagonistes peu crédibles va à l’encontre des connaissances que t’ont apportées ton métier?
Oui tout à fait ! Je me retrouve assez dans ce que peut dire ce batteur. Je suis une des premières à râler dès lors qu’un film aborde la maladie mentale de manière très caricaturale et se trompe (très souvent) sur les diagnostics. Bien souvent dans les films la personne qui souffre de schizophrénie a une double personnalité (ce qui est complètement faux) ou est un tueur en série (également très éloigné de la réalité). Ce qui au départ me fait grincer des dents car cela véhicule une mauvaise information de ce que peut être la maladie mentale finit par me mettre en colère car c’est extrêmement stigmatisant.

Je sais que tu as travaillé/étudié sur des cas de troubles dissociatifs de l’identité, et tu m’avais expliqué qu’en réalité il y avait très peu de cas fondés, notamment en France?
Je me suis intéressée au trouble dissociatif de l’identité oui. Effectivement, en France très peu de cas sont avérés. C’est un trouble assez controversé qui est pas mal abordé aux états-Unis cependant. J’ai assisté à une conférence sur les traumatismes complexes il y a deux ans et des psychologues Belges et Suisses en parlaient. J’ai pu également voir des vidéos de cas cliniques qui souffraient de ce trouble dissociatif mais rien à voir avec ce qu’on peut voir dans les films évidemment.
À ce titre, le personnage de Kevin Wendell Crumb interprété par James McAvoy dans Split est il réaliste?
Ce que j’ai apprécié dans Split, c’est que l’on parle de trouble dissociatif de l’identité et non pas de schizophrénie. Je ne sais pas pourquoi ces deux pathologies sont très souvent confondues car elles n’ont strictement rien à avoir. L’une est d’origine traumatique, l’autre trouve son explication dans un modèle plus global (bio-psycho social). Le personnage de Kevin est très caricatural, dans la réalité, la personne ne se métamorphose pas en bête sauvage. Cependant on peut voir à quel point il lui est insupportable d’être lui car tous ces souvenirs traumatiques lui reviennent. Dans le psychotrauma, la dissociation survient pour protéger le psychisme de la personne. Je dirais qu’il y a une part de vrai mais qui est poussée à son paroxysme.
Ce que j’ai pu retenir de cette conférence c’est que les parties émotionnelles (les différentes personnalités) ne dépassent pas le nombre de deux, généralement. Encore une fois ce sont des troubles assez controversés et je n’en ai jamais vu dans ma pratique en psychiatrie. J’ai quelques patients qui me disent parfois avoir l’impression d’être deux personnes à la fois mais ils possèdent une bonne critique de ce qu’ils disent.

Ce qui m’a donné envie de faire cet entretien, c’est une citation du film Joker que tu as mis sur les réseaux sociaux: « Le pire dans une maladie mentale, c’est que les gens s’attendent à ce que vous agissiez comme si vous n’en aviez pas ». Pourquoi cette phrase t’a tant marqué?
Cette phrase m’a beaucoup marqué car elle est très vraie. Du fait que la maladie mentale peut mettre mal à l’aise encore certaines personnes et que c’est un handicap invisible, on s’attend à ce que les personnes qui en souffrent s’adaptent et fonctionnent comme si tout allait bien alors que cela devrait être le contraire. Cela s’est vérifié lorsque je suis allée voir le film, les moments où Arthur Fleck a ses fameux rires immotivés, cela faisait rire quelques personnes dans la salle (peut être des rires nerveux) alors que l’on voit bien qu’il est en souffrance lorsque cela lui arrive. On ne demanderait pas à un patient diabétique de faire comme si tout allait bien alors qu’il a également une maladie chronique qu’il doit gérer au quotidien. Lorsque je vois qu’au Canada, il y a des affiches publicitaires pour prendre soin de sa santé mentale, en France c’est encore tellement tabou que cela devient insultant pour les personnes en souffrance psychique.
Pour conclure, peux-tu nous parler de ton film préféré…
Un des mes films préférés c’est Edward au mains d’argent. C’est un film que j’ai vu en cours d’anglais à 11 ans. Ce qui m’a frappé c’est le contraste entre les couleurs très vives de la ville et la noirceur du manoir d’Edward alors qu’au final à l’intérieur, au niveau de leur personnalité, c’est l’inverse. Edward est sombre mais bon. Les habitants de la ville sont en apparence très accueillants mais ils n’admettent pas la différence et deviennent mauvais.
Merci à Julie! Je vous invite vivement à aller sur son blog 😉
Moi aussi j’aime bien Edward et ces mains en argent.
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Très intéressant, bonne idée de l’interviewer !
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Voilà une éclairage fort passionnant sur la question de la représentation de la maladie mentale à l’écran. C’est une représentation très ancienne qui montre à quel point les tourments de l’esprit sont cinégéniques. Déjà dans Nosferatu, le marchand de biens Knock finit à l’asile à manger des insectes en attendant la venue du « maître ». Il y aura ensuite Bedlam, shock corridor, vol au-dessus d’un nid de coucou et le recent Split que tu cites dans l’interview. Les exemples sont legions dont le diagnostic clinique n’est pas nécessairement le plus fiable. L’aspect dramatique qu’il génère vient en effet polluer la représentation que l’on en a.
C’est toujours un peu le risque au cinéma. Dans un autre genre, un ami requin me disait il y a peu qu’il avait toujours une dent contre Spielberg pour les mêmes raisons. 🦈😉
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Super idée ! J’espérais fortement que vous évoquiez Split et je ne suis pas déçue de la réponse^^ J’aurais bien aimé plus de développement sur Joker, mais c’est déjà génial ce que tu as fait ! 🙂
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Excellent ! J’ai vraiment adoré lire cette interview on sent que l’intervenante maîtrise son sujet !! Et c’est grave cool que tu ouvres de plus en plus ton blog à des entretiens avec des spécialistes Marion 😉
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Excellente idée d’interview. J’ai beaucoup aimé le choix d’invitée, mais aussi les questions que tu as posées. Envisager le cinéma sous le prisme de la psychologie est aussi fascinant qu’instructif.
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